Apparaître, être révéler
Depuis que les feuilles ont commencé à tomber des arbres, elles me fascinent. Je les observe, les ramasse lors de mes marches en forêt. De retour à la maison, je m’installe avec mon journal et je les dépose derrière une feuille et je commence à balayer mon crayon sur la feuille pour voir sa forme apparaître. En premier, c’est sa colonne et sa tige qui ressortent, suivies des nervures secondaires qui vont de sa « colonne » à sa périphérie et là, son contour se dessine. Si je continue à passer mon crayon dessus, les détails vont surgir : les mini nervures et l’espace entre ces nervures qui se nomme le limbe. Je suis captivée par ce processus d’apparition.
En écrivant je réalise que la feuille, est comme notre corps : ce qui est visible en premier c’est notre colonne, la ligne centrale de notre torse. C’est aussi ce qu’on ressent généralement le plus lorsqu’on s’allonge sur notre tapis de yoga. En restant et en respirant, on sent ce qui part de la colonne, du centre, et va vers la périphérie de notre corps : nos jambes, nos bras. Plus on se dépose, plus notre attention se raffine et plus nous sentons et percevons ce qui est d’abord invisible. Mon crayon qui passe et repasse est mon attention, ma respiration qui passe de superficielle à profonde. De la surface au limbe, cet espace qui reste presque invisible entre les nervures devient visible grâce ce qui l’entoure.
Apparaître, être soi-même, est un thème qui me captive. Comment apparaître? Surtout comment se dévoiler après toutes les couches de vernis que nous avons mises pour protéger un cœur blessé et fragile ou pour montrer uniquement ce qu’on croit être acceptable dans notre société (au sens large et au sens plus étroit – famille-)? J’écoutais en entrevue de Nicolas Lévesque, psychologue et psychanalyste, qui dit que lorsqu’on se pose beaucoup de questions et que nous sommes obsédés par plein de choses ou que nous avons l’impression de ne pas être assez devenus nous-même, c’est qu’il y a quelque chose qui est toujours en gestation et que nous sommes dans le processus « d’advenir ». Car lorsque nous nous sentons nous même, nous sommes dans un état de « flow », nous ne demandons pas si notre vie a un sens, tout devient évident. La confiance en soi est présente, nous arrêtons de penser à soi de manière narcissique, nous avons de l’ouverture pour écouter les autres. Ça, c’est la santé mentale. C’est être présent à la vie et arrêter de se mettre dans le chemin. Se porter bien, c’est aller vers la simplicité, c’est s’occuper de son cœur. Nicolas Lévesque fait le constat que comme société capitaliste et matérialiste nous avons refoulé le cœur. Nous valorisons des approches dites plus rationnelles, plus pratiques. Nous donnons des diagnostiques et des pilules, et nous classons tout le monde dans des petites cases qui nous rassurent. Pourtant l’être humain est tellement complexe. Et conjuguer l’être humain avec la vie c’est ajouter plusieurs couches de nuances et d’enchevêtrement! On revient au vernis qu’on applique. Tara Brach parle de ce vernis comme d’une sorte de trance dans laquelle nous habitons de manière plus ou moins consciente.
Notre chemin vers nous-même est de s’éveiller de cette trance, de laisser le vernis craquer et tomber et se retrouver nu, vulnérable mais authentiquement soi. S’éveiller c’est reconnaître qui nous sommes dans toute notre complexité, dans notre beauté et ses nuances et d’aller de l’avant en restant fidèle à notre âme.
Les arbres laissent aller les feuilles qui créent un tapis invitant pour avancer. Et si on regarde vers la cime des arbres, ils semblent nous dire : « Ah, je suis maintenant plus léger, je peux me redresser sans leur poids, je suis libre, nu, beau, enraciné et tourner vers la lumière. »
Vous venez marcher avec moi? La nature a déroulé son tapis doré.
Et comme le poète Mark Nepo le dit si élégamment : ayons le courage d’aller au-delà de la surface. Brisons le vernis qui nous garde emprisonné et avançons sur notre route.