Un mot sur le départ de maman
Le 26 septembre dernier, maman est décédée. Sa maladie a pris le dessus six jours avant son départ. À partir du moment où elle ne pouvait plus s’alimenter ni boire, ma famille et moi voulions qu’elle soit confortable, qu’elle ne souffre pas et soit entourée de ses enfants.
Je lui ai parlé et ai chanté doucement à ses côtés, lui ai caressé les bras, la tête et j’ai prié pour elle. Mon message se résumait à ceci : « je t’aime, maman. Merci, tu peux t’en aller en paix. Ta mission ici-bas est accomplie ».
Maman souffrait d’une maladie dégénérative, l’atrophie multisystème, une forme de Parkinson. Depuis plus de deux ans, nous savions que son espérance de vie était de 18 à 24 mois. Mais ma mère est une battante, elle ne voulait pas nous laisser. Elle aimait la vie. Au fur et à mesure qu’elle perdait son autonomie, sa force et sa voix, le contrôle qu’elle avait sur son quotidien a disparu pour faire place à la gratitude envers le personnel soignant et nous. Quand on lui demandait comment elle allait, elle répondait toujours « ça va bien ».
Ce que je retiens des dix dernières années de vie de maman? Sa résilience face aux deuils qu’elle a dû affronter : l’Alzheimer de mon père, son décès, cinq déménagements (de la grande maison familiale à sa chambre en résidence), une perte de mobilité, le besoin d’assistance pour tout (toilette, manger, boire, etc.).
Maman était une femme exigeante qui s’est adoucie au fur et à mesure que la maladie progressait. Pendant des années, elle gardait la prière de la sérénité au-dessus de son évier de cuisine. Elle est maintenant affichée sur mon babillard, à la hauteur de mes yeux lorsque je travaille. Je crois que cette prière l’a en quelque sorte guidée au cours de ses dernières années.
« Mon Dieu,
Accordez-moi le courage de changer les choses que je peux changer,
La sérénité d’accepter celles que je ne peux changer,
Et la sagesse d’en connaître la différence. »
Je désirais de tout mon cœur accompagner ma mère jusqu’à la fin. Je savais sa peur face à la mort. Nous vivons dans une société qui ne considère pas la mort comme une conséquence naturelle de la vie. Pourtant tout ce qui est vivant, meurt. Regardez la nature. On ne dit pas : « ah, les fleurs sont mortes, les feuilles tombent, ce n’est pas normal! » Nous savons tous que c’est là, le cycle naturel de la vie. Mais nous traitons souvent la maladie et la mort comme une erreur. Et nous voulons la dissimuler et la faire disparaitre le plus rapidement possible. Comment faire notre deuil si nous sautons des étapes?
Je crois que l’important pour vivre pleinement et sereinement nos vies, est de rester en conversation constante avec le changement. Tout change! Résister au changement, c’est se créer de la souffrance. Ce à quoi on résiste, persiste! Puis-je vivre et faire la paix, au jour le jour, avec les nombreux (et inévitables) changements de la vie? La vieillesse, la maladie, la mort, les échecs, les réussites, la guerre, le climat, jusqu’au conducteur trop lent devant moi, et quoi d’autre encore!
« Pain is inevitable, suffering is optional ». Le Bouddha nous enseigne que la douleur est inévitable, tandis que la souffrance est optionnelle. La douleur ici fait référence à tout ce que je ne contrôle pas dans la vie, comme les changements mentionnés ci-dessus. La souffrance c’est la tension que je crée autour de la douleur : me plaindre, m’impatienter, faire les scénarios qui commencent par « si », ou imaginer des scénarios catastrophes. Je deviens ainsi un otage malheureux de mes pensées. Pensées qui soutirent une énergie négative… et qui finalement ne mènent nulle part.
La pratique du yoga et de la méditation fait partie du « Noble Chemin » qui nous démontre que la souffrance peut cesser. Grâce à ma pratique quotidienne, j’ai eu l’honneur et le privilège de demeurer pleinement présente à la fin de vie de maman.
Ma gratitude envers la pratique du yoga et de la méditation est grande. Je remercie du fond du cœur tous les enseignants qui transmettent cette discipline. À mon tour, je partage ces techniques et ces pratiques avec humilité. Enseigner est un privilège qui me permet d’approfondir ce que j’ai besoin d’apprendre. Pour cette raison, je tiens à vous remercier du fond de mon cœur, vous, mes ancien.ne.s, présent.e.s ou futur.e.s élèves!
Me reste donc à poursuivre mon deuil, soit d’apprendre à vivre avec l’absence physique de ma mère. En terminant, je vous laisse avec la description qu’en fait l’écrivaine québécoise Hélène Dorion :
« Du temps pour comprendre qu’il me fallait non pas scruter l’obscurité, mais au contraire n’ouvrir à la lumière, la nourrir comme un jardin, l’habiter comme une maison. On peut analyser sous tous les angles une blessure, cela permet de la connaître et de la comprendre, mais rarement de la dépasser, donc de la guérir. Le pardon, la compassion, la sérénité et même la joie relèvent peut-être davantage d’une capacité à s’élever sur la pointe du triangle pour voir s’ouvrir l’horizon au-delà des manquements dans lesquels nous sommes enfermés. »
Hélène Dorion